Aujourd'hui, une plaque a été dévoilée à l'angle des rues Carves et Basch à Montrouge.
Ci-après le texte qui a été lu par les représentants de la LDH locale à cette occasion.
Victor Basch à Montrouge
Gilles Manceron reviendra en détail sur l’itinéraire de Victor Basch, dreyfusard de la première heure, militant acharné des droits de l’homme, intellectuel cosmopolite, athée mais ayant toujours revendiqué ses origines juives et qui, pour toutes ces raisons, fut assassiné avec son épouse Ilona il y a 70 ans, le 10 janvier 1944.
Mais attardons nous un instant sur les raisons qui poussent notre section locale à apposer une plaque en sa mémoire, ici même à Montrouge, au niveau de l’ancien stade Buffalo.
Victor Basch a été un « artisan majeur du Front populaire aux côtés de Léon Blum (même s’il prit quelques distances avec celui-ci pour soutenir les Républicains espagnols en guerre contre Franco) » (1).
Il suffit de lire la presse de l’époque pour prendre conscience de l’importance de cet événement.
« Dans la vaste artère sportive de Buffalo, aux portes de Paris, le Front populaire avait tenu le matin à 9 heures des Assises de la Paix et de la liberté, premier acte des manifestations de gauche que la journée du 14 juillet devait voir se dérouler. On comptait environ douze mille auditeurs, où dominaient (…) les intellectuels et les étudiants de gauche qui s’entassèrent sur les gradins du stade » (2).
« M. Victor Basch, président de la Ligue des droits de l’Homme, présidait, assis, derrière une petite table recouverte d’un tapis écarlate ». Il fut le premier à prendre « la parole pour déclarer ouvertes au nom du Comité national du rassemblement, les Assises de la paix et de la liberté. Tous, dit-il, nous avons conscience que cette journée prendra place parmi les dates mémorables de l’Histoire de la France démocratique et qu’elle s’apparente aux journées illustres du 14 juillet 1789 et du 14 juillet 1790 » (3).
Il poursuit : "Réunis à la Grange aux Belles sous l'insigne du bonnet phrygien, symbole commun à tous pour préparer le Rassemblement du 14 juillet, nous jurons de rester unis pour défendre les libertés démocratiques, le droit de tous les hommes au pain et de tous les peuples à la grande paix humaine."
Au cours de cette matinée au stade Buffalo, les intervenants sont nombreux. « Au nom de la Ligue des droits de l’Homme, M. Ferdinand Hérold précise que : "Joyeusement, mais gravement, la Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen, pénétrée de la grandeur de cette journée et de ses lointaines répercussions, adhère au rassemblement du 14 juillet. La Ligue se donne pour tâche de défendre les libertés publiques contre les ligues factieuses qui, s’inspirant des fallacieuses idéologies et des méthodes barbares du fascisme italien et du racisme allemand, se font un tremplin de la misère publique pour attirer à elles les victimes de la crise – et qui, en réalité, comme eux, ne sont que les troupes marchantes de la réaction et les haut parleurs des occultes puissances d’argent » (4).
Comme nous le précisons, les intervenants sont nombreux à se succéder à la tribune. Nous nous arrêtons toutefois un instant sur une intervention qui recoupe notre sphère locale, puisque, au nom des jeunes, c’est Léo Figuères (celui qui deviendra conseiller général des Hauts-de-Seine entre 1959 et 1993 et maire de Malakoff de 1965 jusqu’en 1996), s’exprime et déclare notamment: « Les jeunes ont soif de vivre de leur travail, dans la paix et la liberté. Ils unissent pour cela leurs volontés et leurs forces. Nous considérons que la journée d’aujourd’hui n’est que le premier pas vers une union plus féconde » (5).
A l’issue de ce rassemblement à Montrouge, « M. Rabaté [du Comité national de lutte contre la guerre et le fascisme] lut la formule du serment qui se termine par ces mots : "Nous faisons le serment solennel de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour défendre et développer les libertés démocratiques et pour assurer la paix humaine" Tous les assistants, debout, crièrent : "Nous le jurons" » (6).
Après ce rassemblement au stade Buffalo, l’après-midi de ce 14 juillet 1935 fut l’occasion d’une gigantesque manifestation entre la Bastille et Vincennes, « qui a réuni une foule qu’il est difficile d’évaluer avec précision, mais que l’on peut estimer loyalement à environ cent cinquante mille personnes. C’est un chiffre, mais qui perd un peu de sa valeur si l’on songe que l’on avait fait appel au ban et à l’arrière ban de la province, comme en témoignaient les banderoles portées par les camarades et que des femmes, enfant, vieillards, tout était descendu » (7).
Au cours de cette manifestation, « deux autos ouvrent le cortège proprement dit. L’une porte un immense drapeau tricolore, l’autre un immense drapeau rouge, sur lequel sont inscrits en lettre d’or les mots : Rassemblement populaire du 14 juillet. Sur la voiture que surmontent les couleurs nationales, ont pris place quelques responsables radicaux-socialistes, notamment M. Pierre Cot, sur la seconde auto se trouvent les représentants socialistes et communistes. Ensuite, à une certaine distance derrière, M. Victor Basch, président de la Ligue des droits de l’Homme, le groupe des chefs responsables du rassemblement populaire » (8).
« Le défilé, calme, en dépit des chants et des cris, a ressemblé, par instants, à une partie de campagne ou à une immense kermesse » (9). Cette journée avec « sa cohue nombreuse », « doit avoir un lendemain car, même les éléments les plus exaltés de gauche présentent des revendications justes, sur lesquelles doit se pencher l’attention de tout gouvernement » (10). D’autant plus que cette journée ne fut pas que parisienne, puisque l’on compta aussi ce même jour des centaines de milliers de manifestants en province.
Le Front populaire est en marche et ses avancées sociales qui l’accompagneront instaurant notamment deux semaines de congés payés, la semaine de 40 heures au lieu de 48 heures ou encore les conventions collectives.
C’est pour toutes ces raisons que la section locale de la LDH a tenu à mettre en place cette plaque.
Le crime contre l’esprit
Si nous avons attendu cette année pour la réaliser, c’est par ce que nous commémorons en 2014 les 70 ans de l’assassinat de Victor Basch. C’est pour ses origines juives, ses engagements et son activité de résistant en tant que responsable du Front national, que Victor Basch, et son épouse Ilona, sont tués le 10 janvier 1944 près de Lyon par la milice française et la police allemande qui déposent sur leurs corps l’inscription : « Terreur contre terreur : le juif paye toujours ». Pour Lécussan, un de ses assassins, ce crime se justifie car Basch, « prototype du Juif étranger » symbolise « la mafia judéo-maçonnique », il est aussi à abattre en tant que « créateur du Front populaire » (11).
70 après ces événements, nous tenons à nous souvenir. Nous célébrons cette année les 70 ans de la Libération mais nous ne voulons surtout pas oublier tous ceux qui y contribuèrent mais qui ne purent la vivre.
Ilona, compagne de combat jusqu’à la mort
Contrairement à la plaque de la rue qui ne mentionne que le prénom de Victor Basch, la plaque que nous dévoilerons tout à l’heure, rappelle également le rôle de son épouse, Ilona qui a partagé avec son mari « l’exaltation et les périls des innombrables combats de son mari pour les droits de l’homme » (12). Car parmi les personnages illustres, on oublie bien vite le rôle des femmes (et le peu de femmes présentes au Panthéon le prouve bien). Et être l’épouse d’un mari militant n’est pas toujours facile et encore moins reconnu. Notre amie Francesca Solleville, membre de notre section locale de la LDH, ne manque d’ailleurs pas de rappeler l’appui essentiel apporté par sa grand-mère Ernesta à son époux, Luigi Campolonghi, président fondateur en exil de la LIDU (Ligue italienne des droits de l’Homme) (13). La LDH et la LIDU se montrent solidaires dans la lutte contre le fascisme et Mussolini. « L’Italie, la vraie (…), elle est à côté de nous, représentée par les Campolonghi, De Ambris, Lussu, Trentin, Bergamo ! C’est avec celle-là que nous voulons celer l’amitié franco-italienne ! » (14) déclare Victor Basch lors d’un des nombreux meetings communs. La LIDU, fondée à Paris, « pouvait bien sûr compter sur le soutien de Victor Basch, président de la ligue française, (…) surtout pour résoudre les cas les plus épineux de reconnaissance du droit d’asile et de menaces d’expulsions » (15). Ici encore, les itinéraires des humanistes se recoupent à travers les lieux et le temps. Et les préoccupations des militants des droits de l’Homme restent constantes.
Ilona Basch, comme le rappelait dernièrement l’historienne Colette Cosnier (16), « a partagé la vie de son mari mais également sa mort puisqu’elle a été assassinée en même temps que lui le 10 janvier 1944. (…) Elle ne participe pas aux activités politiques de son mari mais mène toutes les actions qui peuvent les y aider ». En 1933 à l’occasion du congrès de la Ligue des droits de l’homme à Amiens, les militants remettent à Ilona un bouquet de fleurs en lui disant : « Recevez ces fleurs car nous aimons la Ligue, et si la Ligue c’est lui, c’est également vous ». Elle a joué un rôle majeur aux côtés de son mari, dont elle a partagé le destin jusqu’à la mort : quand la milice est venue chercher son mari, elle a refusé de le laisser partir seul. Comme l’écrit Françoise Basch (17), « Ilona a fait preuve de résistance et de courage jusque devant la mort. Si Victor Basch avait choisi de suivre une voie semée de dangers, Ilona, elle, décida en connaissance de cause de vivre et de mourir à ses côtés ».
Nous tenons aujourd'hui à honorer la mémoire de Victor et Ilona Basch et voulons nous souvenir de leurs combats et de leurs engagements. Comme l'écrit Chateaubriand, "les vivants ne peuvent plus rien apprendre aux morts, mais les morts au contraire instruisent les vivants".
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(1) « Ilona, ma mère et moi - Une famille juive sous l’occupation 1940 -1944 » - Françoise Basch, Ed. iXe, 2012, p 30
(2) Le Petit Parisien, n°21321, 15/07/1935, p 7
(3) Le Petit Journal, n°26478, 15/07/1935, p 5
(4) L’Humanité, n° 13359, 15/07/1935, p 4
(5) Le Populaire, n° 4537, 15/07/1935, p 4
(6) Journal des débats politiques et littéraires, n°195, 15-16/07/1935, p 1
(7) L’Echo de Paris, n°20359, 15/07/1935, p 1
(8) Le Matin, n°18743, 15/07/1935, p 6
(9) Le Temps, n°60, 15-16/07/1935, p3
(10) La Croix, n°1668, 16/07/1935, p 2
(11) Cité par Françoise Basch (Le juif paye toujours) in Victor Basch, un intellectuel cosmopolite, Berg international ed.
(12) « Ilona, ma mère et moi - Une famille juive sous l’occupation 1940 -1944 » - Françoise Basch, Ed. iXe, 2012, p 27
(13) « A piena voce » de Marc Legras et Francesca Solleville, Ed. Christian Pirot, 2004, p 18
(14) « Immigrés d'Italie et paysans de France, 1920-1944 » de Laure Teulières, Ed. Presses universitaires du Mirail, 2002, p 172
(15) « Exil et identité: les antifascistes italiens dans le Sud-Ouest, 1924-1940 » de Carmela Maltone, Ed. Presses Universitaires Bordeaux, 2006, p 59
(16) Colloque tenu le 10/01/2014 à Rennes au collège Victor et Hélène Basch
(17) « Ilona, ma mère et moi - Une famille juive sous l’occupation 1940 -1944 » - Françoise Basch, Ed. iXe, 2012, p 93