La loi
sur la prévention de la délinquance, promulguée en mars 2007 s'appuyait sur un rapport d’experts de l’INSERM. Celui-ci portait sur le dépistage dès 36 mois, soit à 3 ans l’âge de l’entrée en
maternelle, les enfants turbulents, supposés devenir plus tard de la graine de délinquance. Christine Eymard, pédopsychiatre, psychanlyste nous apporte son éclairage sur ce sujet :
" Il faut savoir que ce rapport a été très contesté : et plus particulièrement par un collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans » de spécialistes chevronnés de la
Petite Enfance, de toutes les disciplines (pédiâtres,éducateurs, enseignants, pédopsychiatrie mais aussi, neurologie, génétique) qui a mobilisé un mouvement sans précédent, avec près de 200 000
signatures réunissant professionnels et un large public.
C’est dire que c’est loin d’être négligeable démocratiquement parlant ! Le gouvernement a ainsi été contraint de renoncer à inscrire le dépistage des enfants de moins de 36 mois dans sa loi.
Bien sûr le dépistage fait partie intégrante de la prévention : mais il convient de faire la différence entre :
- les signes précurseurs ou signes d’appel (qui ne préjugent pas forcément de l’évolution) agitation, troubles du sommeil, retard dans les apprentissages…
- les symptômes qui sont un peu plus fixés et peuvent entraver le développement ; TOC (troubles obssessionnels compulsifs), TOP (troubles oppositionnels avec provocation), Tics, hyperactivité
etc….sont ces dénominations dont les médias parlent, et qui peuvent mettre de côté ce contexte si important dont je parlais, et de ce fait brouiller la vérité clinique des difficultés d’un
enfant, autrement plus complexes qu’une simple étiquette.
- Mention spéciale pour les troubles des conduites ou troubles du comportement, notion relativement nouvelle, qui émane d’une de ces grilles scientifiques de classification des troubles et
difficultés des enfants, dont je parlais.
Or ils peuvent aboutir, après élaboration clinique, à différents diagnostics pouvant aller de la psychose, à la variation de la normale, en fonction des résultats de l’approche multi
dimensionnelle.
On en arrive aux questions éthiques qui se posent en matière des droits des enfants.Car il y a un réel danger à considérer des comportements comme facteurs prédictifs de la
délinquance, et/ou comme une pathologie devant être traitée. Car un comportement n’est pas un diagnostic. Le refus, l’opposition, la désobéissance, ne sont pas des maladies. Seule la souffrance
psychique justifie des soins.
L’enfant est un être en devenir ; on n’a donc pas le droit de l’enfermer dans un diagnostic plus ou moins définitif, une étiquette, une case, ou une réputation, qui le suivrait toute sa vie, de
le stigmatiser. Et cela pour une raison simple, c’est que des changements peuvent intervenir tout au long de son développement, et il faut laisser la place à ces changements, être en capacité de
les accueillir. Le pire est la simplification de l’observation, du diagnostic, de la cause. Il faut respecter la complexité de l’être humain. C’est aussi le cas des adolescents, dont on oublie
trop souvent qu’ils ne sont pas des adultes, et dont l’évolution est en cours, fluctuante, et non pas définitivement fixée : (par exemple la violence…mais aussi les TS qui augmentent si
dangereusement. (cf le rapport récent de la défenseure des enfants sur les ado en souffrance). Il est indispensable d’avoir les moyens, en temps, en compétence professionnelle, d’écouter
l’adolescent qui ne peut quelquefois pas dire autrement sa souffrance, son mal être, que par ces passages à l’acte.
Il s’agit de défendre une conception PREVENANTE DE LA PREVENTION.Or la prévention existe en France contrairement à ce qui est laissé supposer par les rapports d’experts et autres discours
politiques ! Les acteurs de santé, et les professionnels de la petite enfance, s’inscrivent dans une mission de prévention, de promotion de la santé, et de soutien des familles en
difficultés, mission qui existe depuis longtemps en France :
- ils guettent, pas à pas, le développement des enfants ; progrès, troubles, déficits
- ils savent se méfier de ces diagnostics dramatiques (débilité, autisme…) qui peuvent briser l’espoir des parents et aussi l’élan des enfants
- ils savent adresser aux services de prise en charge ceux qui en relèvent
Cette compétence vient de la vigilance, de l’approche globale et pluri-disciplinaire, et d’un climat de confiance dans la relation avec l’enfant et sa famille, dont le secret professionnel
est un pivot.
Les structures chargées de ces missions sont, soit publiques, soit associatives : PMI, médecine scolaire, RASED, SESSAD, CMP, CMPP… Elles concernent la petite enfance, mais aussi l’enfant tout au
long de son développement jusques et y compris l’adolescence. Il faut bien sûr, énergiquement déplorer le fait que leurs moyens sont bien au dessous des réels besoins de notre société (cf
des délais d’attente inadmissibles…le manque cruel de personnels). Or ces professionnels n’ont pas été associés à l’expertise INSERM ni d’ailleurs des experts en sciences humaines qui se sont
penchés sur l’enfance (sociologues, éthologues, historiens
et philosophes)!Or la vision prudente et humaniste de ces professionnels expérimentés, est un réel garde-
fou contre les prescriptions et les recommandations de type normatif. Il y aurait une dangereuse déviation (perversion) des buts de la médecine si elle était utilisée à des fins normatives.
Au travers de cela, et bien plus largement, il s’agit de défendre les valeurs fondamentales de notre société et de garder une conception prévenante de la prévention, et non pas prédictive :
1) tout ne se joue pas avant 3 ans : il est essentiel de refuser tout déterminisme
2) l’humain n’est pas programmé/programmable : cela touche à la liberté d’être celui qu’on est, en devenir
3) les manifestations d’opposition, de désobéissance, de distance par rapport aux normes sociales, ne sont pas, en soi, des signes de pathologie, mais sources de créativité; il peut être aussi
nécessaire et prudent de se méfier du calme apparent des enfants inhibés, de l’apathie, du silence de certains
4) le système médical Petite Enfance n’est pas un surveillant à des fins sécuritaires
5) le secret professionnel doit absolument être sauvegardé ; il en va de la relation de confiance avec les enfants et leurs familles
6) Le politique ne doit en aucun cas se substituer aux soignants pour définir le normal et le pathologique.
Le rapport de l'Inserm sème le doute sur des points essentiels : les troubles des conduites, les classifications, la question du déterminisme, le risque, les effets
pervers de la prédiction et les traitements. Car il ne faut en aucun cas perdre de vue que le symptôme n’est pas un diagnostic. « Certes il peut exister des déterminants biologiques des
comportements et de leur pathologie…mais l’enfant qui présente ces « troubles des conduites » n’est pas un animal cruel qu’il faut traiter par des psychotropes (Ritaline) et contenir par des
méthodes psycho-rééducatives. (CCNE - Comité Consultatif National d’Ethique). Devant un enfant présentant des problèmes de comportement, la médecine doit d’abord le considérer comme un
enfant en souffrance et en danger, qu’il faut accompagner, et non pas comme un enfant éventuellement dangereux – un futur délinquant –dont il faudrait protéger la société. Il s’agit donc de
s’opposer à une médecine qui serait utilisée pour protéger la société davantage que les personnes, et ce d’autant plus qu’il s’agit de très jeunes enfants.
Le rapport, qui parle aussi de déterminisme génétique, aboutit dangereusement à une médecine prédictive (criminels nés, classes dangereuses etc…notions du 19è siècle) qui privilégie l’inné
(facteurs génétiques, prédispositions cérébrales…) aux dépens de l’acquis (facteurs environnementaux économiques, sociaux, culturels, éducatifs, familiaux…). Ce qui n’est pas pertinent
actuellement compte tenu des travaux biologiques sur les relations entre gènes et environnement, et plasticité du cerveau et expérience.
C’est une chose de repérer des enfants dits à risque, c’est autre chose de savoir quoi faire de ce risque :
La caractérisation du tempérament « à risque » se situe dans un registre moral et normatif,
et non pas médical ou psychologique. Selon la CCNE « Des enfants de 3-4 ans, considérés (pendant combien de temps ?) comme des enfants « à risque » d’évolution vers des formes violentes de
délinquance, ne risquent-ils pas d’être mis à l’écart et stigmatisés, d’être considérés comme des enfants « différents » et
dangereux, et de se retrouver, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école, en situation durable de perte de chance et exposés à des réactions d’exclusion ? » Alors qu’il s’agit bien plutôt de
les accompagner, ainsi que leur famille, avec des dispositifs adéquats, vers un apaisement de leur comportement.
De plus, il existe des effets pervers de la prédiction d’une telle politique de dépistage ; ainsi, l’enfant étiqueté, aura tendance à se comporter comme il sent qu’on attend de lui. Le
danger est en effet d’émettre une prophétie auto-réalisatrice, c’est-à-dire de faire advenir ce que l’on a prédit, du seul fait qu’on l’a prédit.
Le rapport d’INSERM recommande d’utiliser des traitements univoques, d’inspiration comportementaliste, et des techniques rééducatives en référence à une pratique majoritaire aux USA. En France,
il faut savoir qu’il existe aussi des approches dites psycho-dynamiques, systémiques et psychanalytiques dont il n’est pas fait mention, en particulier des psychothérapies individuelles , ou de
groupe, ou familiales. Pour ma part, je défends avec ferveur cette méthode, où l’écoute, référée à la psychanalyse, est parfois la seule qui prend en compte la personne même de l’enfant, quelque
soit son âge, dans le plus grand respect de ce qu’il est en tant que sujet.
Le rapport recommande aussi d’utiliser des médicaments, lourds, des psychotropes, utilisés en psychiatrie, et pour lesquels on a peu de recul sur leurs effets à long terme chez
l’enfant. La plus grande prudence est donc de mise, car ils risque de masquer les troubles du comportement, et donc d’occulter les symptômes, sans soigner le malaise de fond qui les
conditionne. Ces traitements, comportent de plus, des risques de dépendance encore mal évalués, et peut-être des risques pour le développement ultérieur de l'enfant.
AU TOTAL des risques éthiques réels existent, d’imposer à un enfant une stigmatisation précoce, difficilement réversible et susceptible de renforcer sa détresse au lieu de la réduire. Il
conviendrait en revanche de :
- Développer un meilleur accueil et un meilleur accompagnement psychologique et sanitaire des parents en situation difficile ( mères défavorisées) par une plus grande coordination des
professionnels médico- sociaux, avant, pendant et après la naissance. Dans ma pratique en CMPP par exemple il y existe tout un sérieux travail de lien entre les différents services et
établissements qui s’occupent d’une famille : PMI, ASE, Cmpp Cmp, service social, école, médecin traitant …etc
- Offrir aux enfants vivant dans des environnements économiquement, culturellement ou affectivement précaires, un soutien complémentaire aux structures existantes.
- Souligner l’importance majeure d’une prévention effective fondée sur la correction de facteurs environnementaux,(logement, chômage etc…) qui concourent à la survenue de souffrance
psychique ou de troubles des comportements jugés déviants.
En conclusion, on ne peut donc pas approuver une volonté d’inscrire la médecine préventive dans le champ de la répression, qui conduit à considérer l’enfant comme un danger, et le fait passer de
facto du statut de victime à celui de présumé coupable. Selon la CCNE « Une approche, visant à prédire une évolution vers des formes violentes de délinquance à partir de troubles précoces
du comportement n’est pas pertinente sur le fond en l’état actuel des connaissances, et doit donc être proscrite ; les paramètres disponibles n’étant pas suffisamment significatifs pour permettre
de le faire, sans échapper aux préjugés sociaux, ou idéologiques, toujours présents dans nos sociétés. Il faut développer une réflexion sur la différence entre prédiction, accompagnement, et
prévention dans tous les secteurs de la société, en particulier ceux qui sont impliqués dans la prise en charge de l’enfant ".