La Ligue des
droits de l'Homme, dont le combat pour la réhabilitation des victimes des tribunaux militaires, qui a commencé pendant la guerre elle-même, a constitué son deuxième grand combat historique après
celui pour la réhabilitation de Dreyfus, considère qu’il n’est pas achevé. Ses sections doivent le reprendre alors qu’on approche du centenaire du déclenchement de la Grande guerre.
Après le discours important du Premier ministre Lionel Jospin le 11 novembre 1998 à Craonne, elle estime que les propos du président Sarkozy à Douaumont en 2008 et à l’Etoile en 2011 ne sont
qu’une réponse partielle. Et qu’il faut passer à une autre étape, celle de la réhabilitation effective des nombreuses victimes des conseils de guerre et autres fusillés pour l’exemple du fait de
l’arbitraire militaire durant la Grande guerre. Elle ne veut pas qu’on referme ce dossier avant qu’il n’ait été véritablement ouvert. Pour elle, une véritable réhabilitation ne peut reposer
uniquement sur une nouvelle déclaration présidentielle.
Ses propositions se situent dans le prolongement de la lutte qu’elle a menée durant des décennies, qui a obtenu, avant la fin de la guerre et surtout après, entre 1919 et 1935, des
réhabilitations par des annulations des condamnations en appel ou en cassation et le vote de cinq lois qui ont permis des amnisties. Puis, afin de lever des décisions que la Cour de cassation
n’avait pas voulu annuler, l’installation d’une cour spéciale de révision qui a pu lever des condamnations symboliques comme celle des « caporaux de Souain », dont l’instituteur Théophile Maupas
dont le cas avait été défendu avec acharnement par sa veuve, Blanche Maupas, en lien étroit avec la Ligue des droits de l'Homme.
Les propositions de la Ligue des droits de l'Homme ont été élaborées notamment en liaison avec le général André Bach, chef du service historique de l’armée de terre de 1997 à 2002, qui a été
auditionné par le Comité central en février 2010.
La question a été opportunément relancée ces dernières années, grâce à la campagne menée avec force, depuis 2007, par la Libre Pensée, dont la Ligue des droits de l'Homme est proche et avec
laquelle elle mène de nombreuses initiatives communes. Elle souhaite, quant à elle, qu’on ne se limite pas à une minorité de cas, les quelques 600 cas d’exécutions par fusillade après
condamnation par un tribunal militaire. Il faut s’efforcer d’établir les faits sur le plus grand nombre possible des cas de fusillés pour l’exemple, y compris ceux, les plus nombreux, de
militaires qui l’ont été sans condamnation judiciaire, ce qui ne peut être que le travail d’une commission dans la perspective du centenaire de 1914. Plus de 2 000 autres condamnations à mort ont
été commuées en peines de travaux forcés ou « travaux publics », c’est-à-dire de déportation judiciaire dans les colonies, dont de nombreux soldats ne sont jamais revenus, tous comme d’autres,
qui ont été condamnés directement à ces peines. En outre, surtout en 1917, des « mauvais sujets » (près de 2000 hommes ?) ont été prélevés au sein des régiments « mutinés », et victimes, sans
jugement, de déportation dans les colonies. D’autres soldats, tout au long de la guerre, ont été victimes d’exécutions sommaires, qui paraissent particulièrement nombreuses parmi les étrangers
engagés volontaires et les troupes coloniales.
Par ailleurs, sa connaissance du droit lui apprend que, pour ce qui est des condamnations prononcées, seule une grâce peut être collective (qui dispense de l’exécution de la peine, sans lever la
condamnation). Une loi d’amnistie n’efface pas une condamnation. L’acte de réhabilitation ne peut pas relever d’une loi. Une loi peut en revanche installer, en le motivant par une reconnaissance
civique et morale, un processus qui conduirait à des réhabilitations judiciaires. La réhabilitation judiciaire, qui implique l’annulation des condamnations, ne peut être que le résultat d’une
série de décisions individuelles qu’une commission peut préparer, en transmettant à la Cour de cassation un ensemble de cas qu’elle aura examinés, en vue de la levée des condamnations prononcées
sans nouveau jugement, comme dans le cas de son arrêt Dreyfus. Cela seul peut assurer une véritable réhabilitation, permettre l’inscription « mort pour la France » sur les registres d’état-civil,
et encourager, si cela n’a pas encore été fait, celle de leur nom sur les monuments aux morts.
De nombreuses familles veulent savoir ce qu’il est advenu durant cette guerre à leurs ancêtres mobilisés qui n’ont pas eu la mention « mort pour la France ». 140 000 militaires français morts
durant la guerre n’ont pas eu droit à la mention « mort pour la France ». Pour permettre que la vérité soit dite sur le plus grand nombre possible de faits et qu’intervienne le plus grand nombre
possible de réhabilitations correspondant à toutes ces injustices, la LDH demande donc qu’une commission installée par une loi puisse donner aux familles le maximum de renseignements sur les
circonstances de la disparition de soldats qui étaient leurs aïeux et permette que les condamnations arbitraires soient effectivement cassées sans renvoi.
Pour éviter toute réponse réductrice et limitée, qui refermerait ce dossier avant même qu’il ait été étudié et rendu public, l’objectif d’une telle commission serait de s’efforcer de faire la
lumière sur le plus grand nombre possible de ces faits. Une telle commission pourrait rassembler des historiens, des juristes, des représentants d’associations et du Service historique de la
Défense, pour examiner les cas soumis par des familles, des associations ou que des travaux de recherche auraient révélés. Au-delà de la reconnaissance politique pleine et entière de ce qui reste
une honte pour l’armée française, telle est la demande que formule, pour sa part, la Ligue des droits de l’Homme, en liaison avec des historiens et des représentants d’associations d’anciens
combattants.