Communiqué de l'AEDH :
Sanctionner les employeurs qui exploitent des employés de pays tiers en séjour irrégulier ne doit pas aboutir à sanctionner ceux qui sont exploités. C’est pourtant la conséquence du projet de
directive actuellement en discussion au Parlement et au Conseil.
On ne peut qu’approuver le fait que l'Union européenne se donne des moyens législatifs pour lutter contre le travail illégal et sanctionner les employeurs qui exploitent des personnes au mépris
de tous droits sociaux et salariaux. Par le travail illégal, des employeurs tentent d’échapper à leurs obligations fiscales et au paiement de leurs charges sociales. Ils fragilisent ainsi non
seulement les budgets des collectivités publiques et des organismes sociaux, mais aussi la capacité de la société à assurer le bien être collectif et la cohésion sociale. Cependant, la sanction
de ces employeurs doit s'accompagner non seulement de la reconnaissance des droits, salariaux et sociaux, des salariés employés illégalement, mais aussi de leur droit à être maintenus dans leur
emploi.
En prenant pour base juridique l’article 63 § 3 du Traité de la Communauté européenne, c’est-à-dire l'immigration irrégulière, le projet de directive « prévoyant des sanctions à l’encontre des
employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier » limite, de fait, la portée des mesures de sanctions aux seuls employeurs de travailleurs ressortissants de pays tiers.
L’exploitation du travail doit toujours être condamnée quelles qu’en soient les victimes et cette demi-mesure n’est pas acceptable en soi. En ciblant cette catégorie d’employeurs, la finalité de
la directive est de fait, de contraindre au retour, volontaire ou forcé, des employés en séjour irrégulier, ce qui rend cette directive encore plus inacceptable, tant sur le fond et que sur la
forme.
Si le Parlement et le Conseil venaient à l’approuver en l’état, ils prendraient de lourdes responsabilités :
- la responsabilité d’une mesure discriminante à l’égard des employés illégaux citoyens de l’Union et des employés de pays tiers en séjour
régulier qui sont aussi les victimes de leurs employeurs.
- la responsabilité de sanctionner des employés qui sont d’autant plus exploitables qu’ils sont sans titre de séjour et, en conséquence dans
la plupart des cas, dans l’incapacité de faire valoir leurs droits.
Ces salariés qui contribuent comme tous les autres à la production de richesses, ne se verraient pas reconnus leurs droits, perdraient leur emploi et, en cas de retour forcé, se verraient menacés
par les récentes dispositions de la directive «retour» (menace d’une détention administrative en attente du retour effectif pouvant aller jusqu’à 18 mois, interdiction de séjour de 5 ans). Ces
sanctions cumulatives (perte d’emploi, détention administrative, interdiction de séjour) sont disproportionnées par rapport au seul fait d’être en séjour irrégulier sur le territoire de l’Union
et d’y travailler.
En comparaison, les sanctions des employeurs seraient bien faibles. Le paiement des charges sociales et des salaires dus, au niveau du salaire minima du pays concerné, est non seulement légitime,
mais le minimum à exiger. Les poursuites pénales ne seraient possibles que dans les cas les plus graves et en cas de récidive ; de ce fait très peu d’employeurs seraient concernés par ces
poursuites. La principale sanction consisterait au paiement des frais de retour, volontaire ou forcé, de ceux qui auraient été employés illégalement. Cette sanction, très douteuse dans sa
logique, revient à faire payer aux exploiteurs du travail illégal les frais liés aux sanctions dont seraient passibles leurs propres victimes.
Si, comme cela a été dit lors des auditions parlementaires, le but de cette directive est de protéger les droits de ceux qui sont exploités et qui travaillent, et de frapper les délinquants que
sont les employeurs qui les emploient et si, comme le reprend une résolution parlementaire il s’agit de « combattre avec énergie le travail illégal, dont pâtissent les immigrants, et ce, au moyen
d’une panoplie de sanctions,[…], et de favoriser la protection des immigrants », alors le texte du projet de directive ne répond pas à ces objectifs. Ce ne sont pas les victimes de l’« économie
souterraine » qui doivent être les premières victimes des mesures pour la combattre. Les employés illégaux occupent, le plus souvent, des emplois nécessaires à l'activité économique et à la
création de richesse pour l’ensemble des pays de l’Union. En contraignant au retour ceux qui sont en séjour irrégulier, par qui seront-ils remplacés et comment ? Par d’autres migrants irréguliers
? Le trafic de main d’œuvre ne risque-t-il pas de se durcir et l’économie souterraine de devenir encore plus opaque, avec moins de possibilité pour ceux qui sont exploités et victimes de trafics
de se défendre ?
Il est nécessaire que l’Union européenne se dote des instruments d’une véritable politique migratoire commune, politique qui doit répondre à la fois aux besoins des migrants et aux besoins de
migrations de l’Union. Les migrations sont devenues un phénomène mondial et de société, il serait vain de vouloir assigner à résidence certaines catégories de population tout en souhaitant une
mobilité accrue d’autres catégories. Dans ce contexte, vouloir comme dans cette directive prendre des mesures partielles, discriminatoires et répressives vis-à-vis de migrants est une fausse
réponse à un défi plus large et plus global, où la référence aux droits fondamentaux doit être la règle.
Nous appelons les parlementaires européens à ne pas tomber dans le piège qui leur est tendu où, sous prétexte de sanctionner des employeurs qui emploient de façon illégale des employés de pays
tiers en séjour irrégulier, il leur est proposé de voter un texte qui conduirait de fait à sanctionner des migrants dont la seule faute serait d’être employés illégalement et en séjour
irrégulier. Ces employés sont déjà victimes de l’exploitation de leurs employeurs, ils seront les principales victimes de l’application de cette directive. Elle ne doit avoir pour objectif que
celui de sanctionner les employeurs qui emploient des personnes de façon illégale, quel que soit leur statut, et de reconnaître tous leurs droits, y compris à leur emploi.
L'AEDH appelle à sanctionner ceux qui exploitent et non pas ceux qui sont exploités. Tous ceux qui travaillent doivent bénéficier des mêmes droits, quelle que soit leur nationalité ou leur
origine. L’égalité des droits comme principe du droit international, communautaire et national, ne saurait souffrir d’une discrimination à l’égard de ceux qui sont à la fois des victimes et les
plus faibles.