Lettre à l’attention de messieurs les présidents des États-Unis et de la République française.
Messieurs les Présidents,
Nous souhaitons porter à votre attention une profonde inquiétude, à la suite de la mort d’Oussama Ben Laden au Pakistan et aux nombreuses réactions dans le monde et tout particulièrement à la
Maison Blanche et à l’Elysée.
Il est important de rappeler qu’Oussama Ben Laden et ce qu’il représente n’inspirent qu’horreur et réprobation, que l’idéologie et les méthodes d’Al-Qaïda sont abjectes et méprisables. Il est
tout aussi important de rappeler un principe fondamental qui fonde nos démocraties fondées sur l’Etat de droit : la justice n’est pas la vengeance et ne le sera jamais !
La « vraie justice » aurait été d’avoir eu l’occasion de juger Ben Laden et ses acolytes pour leurs crimes dans un tribunal. Cela aurait été aussi une formidable occasion de montrer la force du
droit et sa primauté sur la violence, et à travers celle-ci, la force des valeurs de nos démocraties. Il faut citer en exemples la Cour pénale internationale et les Tribunaux Pénaux
Internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda, qui ont rejeté la peine de mort de leur arsenal de sanctions pour les pires crimes : les crimes contre l’humanité et les génocides.
En ce jour, il est essentiel de penser aux victimes, à toutes les victimes de Ben Laden et de son mouvement : celles du 11 septembre, celles de Bali, Casablanca, Bagdad, Madrid, Charm El Cheikh
et tant d’autres. Nous pensons à eux, car dans tout procès pour crime, la place des victimes est fondamentale. Un procès, c’est leur offrir l’opportunité de témoigner, c’est leur donner un nom et
parfois un visage. Outre le processus cathartique qu’il offre, un procès permet d’établir la vérité dans ce qu’elle a de plus dure et réelle. Elle permet aussi de couper court aux plus folles
théories des complots toujours dangereuses et nauséabondes.
En tout état de cause, pour toutes ces raisons, nous nous élevons aujourd’hui pour nous indigner de vos déclarations respectives : « Pour ces victimes, justice est faite. ». Les États-Unis
seraient ressortis grandis d’une justice qui ne soit pas fondée sur la rétrograde clameur « mort ou vif ». Une telle déclaration est aussi un désaveu pour notre pays qui s’apprête à célébrer les
30 ans de l’abolition de la peine de mort.
Monsieur le Président Sarkozy, vous aviez, dans une tribune datée du 2 janvier 2007, mis en exergue courageusement les valeurs si chères au peuple français en dénonçant l’exécution par pendaison
de Saddam Hussein. En écrivant à l’époque : "J’aurais aimé saluer dans le procès de Saddam Hussein une
étape marquante de la démocratisation en Irak. L’exécution de Saddam Hussein, le pire des hommes, est une faute", vous aviez fait honneur à la France qui ne transige pas avec les valeurs de la
démocratie qu’elle qu’en soit le contexte.
Il est utile de se remémorer le discours de Robert Badinter demandant l’abolition de la peine de mort, devant l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981 :
« Loin de le combattre, la peine de mort nourrirait le terrorisme. A cette considération de fait, il faut ajouter une donnée morale : utiliser contre les terroristes la peine de mort, c'est, pour
une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. ( …) Ils tendent à la démocratie le piège le plus insidieux, celui d'une violence meurtrière qui, en forçant cette démocratie à recourir
à la peine de mort, pourrait leur permettre de lui donner, par une sorte d'inversion des valeurs, le visage sanglant qui est le leur. Cette tentation, il faut la refuser, sans jamais, pour
autant, composer avec cette forme ultime de violence, intolérable dans une démocratie, qu'est le terrorisme ».
Par ces mots, nous nous devons de regretter la position de l’Elysée assimilant la mort de Ben Laden à une forme de justice. Nous avons, et vous aussi monsieur le Président qui êtes contre la
peine de mort et l’exécution de criminels, avant ou après leur procès, une autre conception de la justice pour la France.
Monsieur le Président Obama, un jour nous en sommes convaincus, dans votre pays aussi, une justice qui tue ne sera plus considérée comme une justice à part entière.
Olivier Déchaud & Raphaël Chenuil-Hazan
Président et Directeur d’ECPM-Ensemble contre la peine de mort