Françoise Dumont, secrétaire générale
adjointe de la LDH, est intervenue le 21 novembre à Malakoff pour présenter l'état des droits de l'enfant en France. Voici ci-après le contenu de ses propos :
1) La Convention internationale des droits de l'enfant : son histoire
La Cide est aujourd'hui majeure (c'est d'ailleurs un texte majeur), puisqu'elle a été adoptée le 20 novembre 1989 par l'assemblée générale des Nations Unies. La France l'a ratifiée en 1990,
un an après. Depuis, le 20 novembre célèbre la Journée intenationakle des droits de l'enfant.
Comment ces droits de l'enfant se sont-ils construits ? En fait, leur émergence est le résultat d'une lente évolution.
- Si la situation de l'enfant soumis à un « pater familias », qui eut pendant longtemps le droit de vie et de mort sur sa progéniture, avait été condamnée, par des philosophes et des
théologiens de l'Antiquité
- Si des écrits du siècle des Lumières montraient une nouvelle sensibilité face à l'enfance,
- Si en France par exemple, un décret de 1813 a interdit de faire descendre dans les mines un enfant de moins de 10 ans et que la loi Ferry de 1882 a organisé l'enseignement primaire obligatoire,
laïc et gratuit pour les enfants de 6 à 13 ans
C'est seulement au XX ème siècle que la communauté internationale a entrevu la nécessité de textes généraux protecteurs de tous les enfants.
Ces textes généraux se sont construits en plusieurs étapes qui s'étalent de 1924 à 1989 :
- le premier de ces textes est la déclaration des droits de l'enfant, connue sous la Déclaration de Genève, et qui est née le 26 septembre 1924, au sein de la Société des Nations, l'ancêtre de
l'ONU. C'est un texte très court, qui constitue néanmoins le socle des textes ultérieurs. Il stipule notamment que « les hommes et les femmes de toutes les nations reconnaissent que l'humanité
doit donner à l'enfant ce qu 'elle a de meilleur. »
- le 2e texte que je citerai est la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 (nous fêterons l'année prochaines ses 60 ans) et qui réserve une place implicite à l'enfant,
les droits et les libertés qu'elle énonce s'appliquant « a tous les membres de la famille humaine ». Son article 25 affirme notamment que « la maternité et l'enfance ont droit à une
aide et à une assistance spéciale ».
Ensuite, l'ONU a adopté à l'unanimité le 20 novembre 1959, la déclaration des droits de l'enfant. Cette déclaration poursuit la déclaration de Genève en l'adaptant aux situations vécues par les
enfants dans le monde et proclame, à travers 10 principes, le droit de l'enfant à une enfance heureuse. Cette déclaration est avant tout un texte d'ordre éthique, sans valeur juridique
contraignante, mais il constitue déjà une véritable référence et une reconnaissance des droits des enfants. Mais ces droits sont avant consentis par un adulte, seul juge de ce qui est bon pour
lui. L'enfant n'est donc pas encore un sujet de droit à part entière.
En 1978, le gouvernement polonais, dans la perspective de l'Année Internationale de l'enfant programmée l'année suivante, suggère de convertir la déclaration des Droits de l'enfant en un texte
contraignant pour les Etats.
En 1979 , à l'occasion de l'année internationale de l'enfant, l'Assemblée générale des Nations Unies met en place un groupe ad hoc au sein de la Commission des droits de l'homme pour préparer
cette convention.
La forte implication de certains pays, comme la France, mais également de plusieurs associations non gouvernementales permet finalement d'aboutir à l'adoption, à l'unanimité, le 20 novembre 1989,
de la Convention internationale des droits de l'enfant, la CIDE.
Un peu plus de 10 ans se sont donc écoulés entre l'initiative polonaise et l'adoption de ce texte emblématique qui est devenu la référence incontournable sur les droits de l'enfant. En fait, ce
laps de temps montre bien la difficulté qu'il y a eu à trouver de bases communes pour des états de cultures, de niveaux de développement, d'organisation sociale extrêmement différents.
2) La CIDE : son contenu, sa portée.
La Cide comporte 54 articles à travers desquels les Etats qui la ratifient, proclament notamment :
- le droit de l'enfant à être maintenu dans son milieu familial,
- le droit à l'éducation et aux loisirs,
- le droit à la liberté de pensée, de réflexion, d'expression, d'association, et de réunion pacifique,
- le droit à la santé et à l'accès aux soins,
- le droit à connaître ses origines dans la mesure du possible..
Elle réunit en un seul document les droits civils, sociaux et politiques, montrant combien ils sont indissociables. L'enfant visé est un être faible et démuni, incapable juridiquement et
âgé de moins de 18 ans.
D'ailleurs, en proposant une certaine conception de l'enfant qui doit tout à la fois :
- être protégé,
- bénéficier de prestations spécifiques,
- être considéré comme un acteur de sa propre vie,
le texte de la Convention comporte un aspect à la fois philosophique et politique profondément novateur.
Surtout, pour la première fois, l'enfant est considéré, par un texte international comme sujet de droit à part entière, avec l'idée , que c'est toujours l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit
être pris en compte.
A quoi s'engagent les pays qui ont ratifié cette Convention ?
Aujourd'hui, 191 pays ont ratifié ce texte et se sont donc engagés à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits
reconnus par la Convention (article 4).
Les Etats Unis ne l'ont pas ratifiée car la Cide interdit la peine de mort pour les mineurs. Le 1er mars 2005, la Cour Suprême a aboli la peine de mort pour les mineurs mais à ce jour, les Etats
Unis n'ont toujours pas ratifié le texte.
Si la Convention s'imposait comme une étape décisive, elle ne constitue toutefois pas une fin en soi. D'ailleurs, d'autres textes sont venus la compléter sur le plan juridique. Il s'agit de 2
protocoles facultatifs faits à New York le 25 mai 2005 :
- l'un concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.
- l'autre sur l'implication des enfants dans les conflits armés.
Par ailleurs encore, d'autres textes s'appliquent aux enfants de l'Union européenne.
Le Conseil de l'Europe contribue activement à la promotion des droits des enfants par des conventions comme la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants du 26 janvier 1996 ou
par des recommandations. En outre, les enfants tout comme les adultes peuvent invoquer directement la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
3) et la France ?
En France, la mise en application de la Convention a été favorisée par l'émergence d'un courant favorable à
cette nouvelle approche. Depuis le début des années 60, les droits de l'enfant, liés aux transformations de la société et de la famille avaient commencé à évoluer.
L'autorité parentale, par exemple, a peu à peu été définie comme une fonction exercée dans l'intérêt de l'enfant .Depuis 1970, elle appartient aux père et mère, les pouvoirs des parents
sont contrôlés, les mauvais traitements ou négligences peuvent entraîner des sanctions pénales .La loi du 22 juillet 1987 favorise le droit pour l'enfant, d'être élevé par ses deux parents et
d'exprimer son opinion sur les questions le concernant.
Le Code du travail des enfants s'est adapté à l'évolution sociale. La loi sur les enfants mannequins de 1990 protège les enfants qui exercent dans la mode ou la publicité.. Les
adolescents âgés de 14 à 16 ans peuvent exécuter des travaux légers à condition d'avoir un contrat de travail.
Le droit d'expression et des adolescents s'est lui aussi considérablement élargi au sein de l'école primaire et du collège par l'élection des délégués de classe et de représentants des
élèves au conseil d'administration.
Afin de mieux former les futurs citoyens, des Conseils municipaux d'enfants ont été institués depuis 1979.
Un Parlement des enfants pour les élèves de CM2 siège chaque année depuis 1994. Dans les lycées, en application de la CIDE et e la loi d'orientation de juillet 1989, les Conseils de la Vie
Lycéenne ont été crées, ces CVL visent à améliorer le dialogue dans l'établissement et par conséquent, les conditions de la vie lycéenne.
Par ailleurs , des instances ont été crées spécialement. Depuis la loi du 6 mars 2000, le défenseur des enfants, autorité indépendante, est chargée de défendre et de promouvoir les droits de
l'enfant consacré par la loi ou par un engagement international. Ce défenseur des enfants présente tous les ans au président de la République un rapport d'activités et des propositions de
réforme sur un sujet. Il est relayé localement par des correspondants locaux.
4) est-ce à dire que tout va bien ?
La France n'est sûrement pas le pays où la situation des enfants à la pire, ce qui serait
tout de même un comble dans un pays qui est la 4e puissance mondiale.
En même temps, nous aurions tort de nous endormir sur d'éventuels lauriers.
D'abord, parce qu'il y a souvent un fossé entre l'affirmation d'un droit et son effectivité.
Peut-on dire qu'au sein de l'institution scolaire, par exemple, la parole de l'élève soit toujours prise en compte (Cf les conseils de classe !).
Ensuite, l'accroissement des inégalités et de la précarité se fait évidemment ressentir sur la situation des enfants.
Dans notre pays, de nombreuses familles vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce qui signifie que des enfants ne mangent pas à leur faim, vivent avec leur famille dans des logements insalubres
(saturnisme), voire dans la rue. Ce qui ne manque pas d'avoir aussi des répercussions sur leur état de santé et sur leur scolarité (article 27).
Il y aussi le problème de tous ces enfants dont les parents sont menacés d'expulsion et qui voient remis en cause, leur droit de vivre en famille ou vivent cachés, parce que leurs parents sont
menacés Je passe sous les tentatives récurrentes de certains maires d'exclure de l'école ou de la cantine ces enfants dont les parents sont en situation irrégulière. Dans cette rubrique, on
pourrait aussi citer la situation des mineurs étrangers qui, faute de structures d'accueil, sont souvent des enfants errants et renvoyés dans un pays, à partir d'un examen osseux plus que
contesté.
La dernière raison qui me fait dire que nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers, est le fait qu'il me semble qu'aujourd'hui, notamment en matière de justice, la figure de l'enfant en
danger, ou de l'enfant dont on croit encore à l'éducabilité, s'éclipse devant celle du mineur dangereux.
En France, la justice des mineurs remplit 2 missions : la protection des jeunes en danger et la répression des mineurs. Sur ce plan, la figure du juge pour enfant est emblématique, puisqu'il a
une double compétence : éducative et répressive.
On voit bien combien les dernières lois qui ont été votées ces dernières années (loi Perben, loi de prévention, loi sur la récidive... ) en créant de nouveaux délits, en prônant toujours plus de
répression s'éloigne d'une réponse éducative.
Les discours récurrents sur la faillite de la prévention, sur l'augmentation de la délinquance des mineurs à partir de chiffres qui méritent débat, sur la nécessaire révision
de l'ordonnance de 1945 (obsolète et ne permettant rien), sur la confusion entretenue entre prévention de la délinquance et prédiction, sur l'idéologie de la tolérance
zéro, tout cela nous éloigne des valeurs défendues par la Cide, qui reste finalement un texte assez mal connu (connaissance même en baisse selon l'enquête de l'Unicef) et dont on pense trop
souvent qu'elle concerne les enfants du tiers monde.
OUI, il y a en France des enfants mal nourris, des enfants mal soignés (pédopsychiatrie ! ), des enfants maltraités, des enfants discriminés (ROMS), des enfants en centres de rétention,
des enfants en prison, bref des enfants repérés en danger.
Rapport de l'ODAS de 2006 :
- 98 000 enfants déclarés en danger, soit 1000 de plus que l'année dernière. En moins de 10 ans : augmentation de 18 %,surtout des adolescents.
- 80% sont des enfants à « risques » : pas considérés comme maltraités mais vivant dans des conditions qui risquent de compromettre leur santé psychologique et leur éducation.
Part de la précarité dans les cas de signalement : en nette hausse !
Si notre droit a beaucoup évolué, si les mentalités ont évolué, si des progrès ont été accomplis, il reste donc bien des obstacles à lever et des régressions à combattre.