Communiqué du collectif des normalien-ne-s indigné-e-s d’une ENS indigne :
Le Collectif ENS Palestine devait accueillir une rencontre exceptionnelle avec Stéphane Hessel le mardi 18 janvier en salle Jules Ferry. Madame Canto-Sperber s’était dite heureuse de la tenue de
cette conférence, à laquelle devaient participer Benoist Hurel (secrétaire général adjoint du Syndicat de la Magistrature), Leila Shahid (ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union
Européenne), Haneen Zoabi (députée au parlement israélien), Michel Warschawski (Israélien, fondateur du Centre d’Information Alternative, AIC), Nurit Peled (mère israélienne d’une victime
d’attentat, fondatrice du cercle des familles endeuillées, Prix Sakharov pour la paix du parlement européen), Elisabeth Guigou (députée, ancienne Ministre de la Justice), Daniel Garrigue (député,
porte parole de République Solidaire) et Gisèle Halimi (avocate, militante féministe et politique française).
Nous apprenons avec consternation que la Directrice de l’ENS a décidé de revenir sur sa décision et d’annuler cette conférence à laquelle plus de 300 personnes étaient déjà inscrites, avant même
que l’information ne soit relayée par les différents organisateurs/trices de cette conférence. Et c’est avec plus de consternation encore que nous lisons l’éditorial du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France qu’en
l’absence de réaction publique de la part de la Direction, nous devrons considérer comme un compte-rendu fidèle des mécanismes qui ont conduit à cette annulation. Le CRIF se félicite en effet
d’avoir réussi, grâce à ses ami-e-s Valérie Pécresse (ministre de l’enseignement supérieur), Bernard-Henry Lévy et Alain Finkielkraut (normaliens), Claude Cohen-Tanoudji (Professeur de Physique à
l’ENS) et Arielle Schwab (Présidente de l’UEJF) à imposer ses vues à la Direction de l’Ecole et à censurer ainsi Stéphane Hessel, normalien, résistant, Ambassadeur de France, et co-rédacteur de
la Déclaration universelle des Droits de l’homme.
Il est extrêmement inquiétant de voir des institutions publiques de renom, telles que l’ENS se soumettre à des pressions visant à étouffer la liberté d’expression. Par ailleurs, l’honnêteté
intellectuelle et la probité d’élèves de l’Ecole est explicitement mise en cause, en des termes parfaitement scandaleux évoquant le totalitarisme et ainsi les heures les plus sombres de
l’Histoire : "Un crime contre l’esprit que de confondre débat et militance politique, comme le font quelques élèves de l’école convertis au terrorisme intellectuel, modèle trotskiste pour les
uns, stalinien pour les autres, et de là proposer leur doxa à l’ensemble de l’Université" dit le communiqué du CRIF !
Nous appelons nos camarades normalien-ne-s à protester contre les pressions inacceptables de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche, mais aussi contre cette décision injustifiable de Madame Canto-Sperber, en envoyant des mails d’indignation à la Direction qui a cédé à ces pressions indignes.
Par ailleurs, nous invitons nos camarades de l’ENS à participer au rassemblement contre la censure et pour la défense de la liberté d’expression le mardi 18 janvier à 18h30 Place du Panthéon à
Paris.
Collectif des normalien-ne-s indigné-e-s d’une ENS indigne.
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LE CRIF JOUE AVEC LE FEU
Le président du CRIF se targue d’avoir fait interdire une réunion sur invitations qui devait se tenir à l’Ecole Normale Supérieure autour des personnes poursuivies pour leur appel à boycotter les
produits israéliens ou ceux issus des colonies mais estampillés, en toute illégalité, comme israéliens.
La LDH pour sa part, comme l’Autorité palestinienne, dont la représentante en Europe Leila Chahid devait participer à la réunion finalement interdite, considère comme plus efficace d’appeler au
respect de la législation européenne et donc de cibler les produits issus de colonies.
Comme le précise l’appel à soutenir les personnes poursuivies, "certains d’entre nous appellent au boycott de tous les produits israéliens; d’autres « ciblent » les seuls produits des colonies
israéliennes; d’autres encore choisissent des formes d’action différentes. Mais nous sommes tous unis pour refuser catégoriquement que les militant-e-s de la campagne internationale
Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) soient accusés et jugés pour “provocation publique à la discrimination”…. »
Comment ne pas voir, en effet, derrière l’action du CRIF la volonté d’exonérer en permanence les autorités israéliennes de leurs actes en jetant sur toute critique le voile de l’antisémitisme et
de la délégitimation de l’Etat d’Israël.
Si le CRIF n’a jamais cessé de proclamer que la critique n’était pas interdite, les propos de ses présidents successifs, les articles qui figurent sur son site attestent qu’en fait de critiques,
le CRIF refuse de reconnaître que l’Etat d’Israël est un Etat comme un autre qui a les mêmes droits et les mêmes responsabilités.
Censé représenter la communauté juive de France, encore qu’il n’en jamais été qu’une émanation très partielle, le CRIF s’est transformé en porte-parole des autorités israéliennes, adoptant
presque sans retenue les différents crédos de celles-ci. L’évolution de sa direction n’y est sans doute pas étrangère. Ses silences, voire certaines de ses publications, ajoutent à cette
complaisance une forme de dérive qui conforte son inféodation aux plus radicaux.
C’est ainsi que son ancien président, Roger Cukierman, a pu publier sur le site du CRIF, une tribune, certes n’engageant que lui, en date du 22 mars 2010, fleurant bon le danger que représente le
ventre trop fécond des femmes musulmanes… Au-delà de la dénonciation rituelle des atteintes aux mosquées et aux cimetières, en ces temps de haine de plus en plus ouverte contre ceux et celles,
français ou non, qui se réclament de l’Islam, une telle prose amène à s’interroger sur l’influence de ce mal sur le CRIF.
L’on cherchera aussi vainement sur le site du CRIF la manifestation d’une quelconque inquiétude concernant les restrictions de plus en plus fortes apportées par la droite israélienne à la liberté
d’association en Israël, là aussi parce la dénonciation de la colonisation et des crimes de guerre constitueraient un danger. L’Etat d’Israël rejoindra-t-il par ce biais les détestables
législations de ses voisins qui conduisent à réduire la liberté d’association ?
Quant aux libelles qu’ont dû supporter les signataires du timide mais bienvenu appel « Jcall », y compris de la part du président actuel du CRIF, ils révèlent que l’attachement naturel que tel ou
tel peut avoir à l’Etat d’Israël entraîne une sorte de sidération allant jusqu’à la négation de l’évidence.
En adoptant cette attitude, le CRIF prend le risque de laisser croire qu’il y aurait une sorte de signe d’égalité entre les juifs pris collectivement ou individuellement, et la politique des
autorités israéliennes. Cette double prise d’otage, qu’elle vise à interdire tout débat sous prétexte d’antisémitisme ou qu’elle vise à identifier tout juif à l’action gouvernementale
israélienne, ne peut que conduire qu’à une communautarisation accrue du débat politique.
L’interdiction de la manifestation de soutien qui devait se dérouler le 18 janvier à l’E.N.S. n’est donc pas simplement une atteinte à la liberté d’expression. Elle est aussi la forme la plus
imbécile de soutien à l’existence de l’Etat d’Israël. Elle est enfin et peut-être surtout en France, la meilleure manière qui soit d’attiser le repli sur des communautés artificielles mais
antagonistes.
Michel TUBIANA
Président d’honneur de la LDH.
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Sur ce sujet, lire également l'article "Israël-Palestine : le
Crif bafoue la liberté d'expression et s'en vante"
d'Esther Benbassa, historienne, directrice d'études à l'EPHE (Ecole pratique des hautes études)