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16 octobre 2009 5 16 /10 /octobre /2009 14:11

Extrait d'un article de Pierre Souchon, paru dans La Terre du 06/10/09 :

A 95 ans, l'ancien résistant appelle à ne pas baisser les bras. Car s'il ne dispose pas de forces armées comme en 1940, l'adversaire d'aujourd'hui est plus puissant.

Issu d'une famille juive laïque de Dijon, Raymond Samuel est né le 31 juillet 1914, jour de l'assassinat de Jaurès : « J'avais un alibi. » On se rassure. Et l'on  qu'il allume l'œil pétillant.
La Résistance ? « Quatre ans  sur quatre-vingt-quinze », calcule cet ingénieur des Ponts et Chaussées : « Quand on a la chance de s'en sortir, comme ma femme Lucie et moi, ce sont quatre années qui comptent. » Aux côtés d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie, c'est en 1941 que le couple Aubrac crée le mouvement Libération en région lyonnaise. Fédéré avec Combat et Franc-Tireur, il devient l'Armée secrète, puissante organisation clandestine en zone Sud.
« Personne n 'était obligé de résister. La démarche est intéressante dans ce sens-là : elle est une volonté. Ce souvenir du choix compte beaucoup. » Comme on pense à Sartre, pour qui les Français n'avaient « jamais été aussi libres que sous l'Occupation parce qu'ils pouvaient choisir, Raymond Aubrac ajoute deux paramètres. La solidarité, d'abord : « Tout nous différenciait : origines, trajectoires, préférences idéologiques... Mais nous étions avant tout des camarades. La solidarité primait sur nos penchants individuels. » Enfin, le fait de « désobéir » reliait les hommes.
Lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, en 1964, André Malraux évoque dans son discours une Résistance qui fut longtemps un « désordre de courage ». Ce que Raymond Aubrac confirme à sa manière : « Lorsque nous avons commencé avec Lucie, nous ne sommes pas entrés dans la Résistance : il n'y en avait pas. Mais nous avons décidé de "faire quelque chose", c'était cela la formule. » Et pour agir, « il fallait être optimiste, sans cela personne n'aurait bougé ». Optimiste en 1940 ? « Je vous le dis les yeux dans les yeux. »
Puis Raymond Aubrac se reprend : « Je ne veux pas utiliser le terme "espérance" : il est passif et possède une connotation religieuse. Mais il est vrai que le mot "optimiste" est mal choisi, parce qu'il implique que l'on est heureux de ce que l'on vit. Il s'agit en réalité du contraire. C'est réagir contre une situation que l'on n'accepte pas, mais en étant sûr que de ce combat va survenir une amélioration. » D'ailleurs, Raymond Aubrac affirme détenir une « preuve objective de l'optimisme de la Résistance : le programme de son Conseil national ». Et de rappeler les conquêtes du CNR, dans un pays laminé par plusieurs années de guerre : nationalisations, création de la Sécurité sociale, semaine de quarante heures, augmentation des salaires...
Cet optimisme, Raymond Aubrac et sa femme s'en sont fait dès le début de la guerre les colporteurs inlassables : « On allait voir des copains, et on entreprenait le discours 23 bis, exactement celui que vous êtes en train de subir en ce moment. - Pourquoi "23 bis" ? - Et pourquoi pas ? » Le dernier survivant du prestigieux corps des commissaires de la République sourit. Il fallait tout de même, concède-t-il, être « vulnérable, prédisposé au 23 bis ». A l'image de Maurice Kriegel-Valrimont, cégétiste avant-guerre, ou de Serge Ravanel, polytechnicien et « extraordinaire risque-tout », qu'Aubrac entraîne dans l'armée des ombres. « Moyennant quoi, je me suis retrouvé quelques mois plus tard dans une cellule à Saint-Paul, avec mes deux gars... »
C'est qu'à l'époque, « l'ennemi était là, avec ses forces armées ». Aujourd'hui, regrette Raymond Aubrac, « la mobilisation est beaucoup plus compliquée car on a du mal à identifier l'adversaire. Ce ne sont plus des forces armées, mais ils sont plus puissants ». Il continue la lutte, pourtant. En 2004, avec son épouse et d'autres figures de la Résistance, il signe un appel aux jeunes générations à réagir devant la remise en cause du « socle des conquêtes sociales de la Libération. » En janvier 2007, le couple Aubrac soutient soutient « l'Autre campagne, 80 propositions à débattre d'urgence ». Dans la préface de l'ouvrage éponyme, ils appellent à « résister à l'ordre établi », stigmatisant « l'emprise mondiale des forces financières » et l'ensemble des « forces politiques » ayant intérêt « à ce que n'en ne change ».
En octobre 2007, l'ancien vice-président du Medef Denis Kessier résumait la feuille de route de Nicolas Sarkozy dans le magazine Challenges : « II s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. » Raymond Aubrac s'en souvient : « Cela nous a rendu un grand service. Il a affirmé publiquement ce dont nous le soupçonnions. C'est important d'avoir des aveux. » Face à ce rouleau-compresseur d'Etat, Raymond Aubrac « tente de faire du recrutement pour l'optimisme » : « Ce n'est pas simple. Mais le recrutement pour la Résistance, ce n'était pas évident non plus. »

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« LE TRAVAIL DE MÉMOIRE »
Alors que sort sur les écrans l'Armée du crime, film de Robert Guédiguian sur le groupe de résistance Manouchian, Raymond Aubrac rappelle le « grand nombre d'étrangers dans la Résistance, parmi lesquels on recrutait souvent les meilleurs combattants ». Sans parler du débarquement de Provence, dont il souligne que l'on comptait « 80 % d'Africains dans le contingent français ». Certaines données historiques sont mises en valeur,.d'autres occultées. Raymond Aubrac en veut pour preuve, parmi d'autres, Joseph Epstein :.« C'était le patron de Manouchian, on rappelait colonel Gilles, fusillé en 1944. Mais il ne figure pas sur l'affiche rouge. Il a fallu qu'un artiste, Pascal Convert. se batte pour retrouver Epstein et reconstruire son souvenir. » Raymond Aubrac se fait songeur : « Mon seul mérite est d'avoir survécu. Certains de mes camarades, qui en ont fait autant ou plus que moi, sont complètement oubliés. Ce n'est pas tellement plaisant, de se dire que l'on est un peu un usurpateur... » Par conséquent, la notion de « devoir de mémoire » ne lui convient pas : « Dans l'ensemble d'une société, le devoir, c'est absurde. Je préfère parler d'un "travail de mémoire", entre ceux qui communiquent et ceux qui interrogent. Car la mémoire efface autant qu'elle conserve. »

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LIGNE DE VIE
1914. Naissance de Raymond Samuel à Vesoul
1937. Diplômé des Ponts et Chaussées
1939. Epouse Lucie Bernard
1940. Prend le pseudonyme Aubrac et rentre dans la Résistance. Participe à la création du mouvement Libération-Sud, qui deviendra l'Armée secrète
15 mars 1943. Arrêté par la police lyonnaise, puis relâché
21 juin 1943. Arrêté par la Gestapo à Caluire, avec Jean Moulin, il est emprisonné au fort de Montluc, à Lyon. Pendant un transfert, le 21 octobre 1943, sa femme attaque avec un groupe franc le camion où il se trouve avec treize autres résistants. Quatre allemands sont tués, les résistants s'échappent
Février 1944. Rejoint Londres
Juin 1944. Commissaire de la République
1945. Responsable national de déminage
1967. Ami de Hô Chi Minh, il est sollicité par Kissinger dans le cadre des négociations pour mettre fin à la guerre du Vietnam
1996. Publie Où la mémoire s'attarde (éd. Odile Jacob)
2006. Signe un appel contre les frappes israéliennes au Liban

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